Il y a plus de vingt ans, Kisangani a été le théâtre d’un carnage orchestré par des armées étrangères sur le sol congolais. Les victimes, laissées dans la douleur et la pauvreté, ont attendu plus de deux décennies avant que la Cour internationale de justice n’impose à l’Ouganda de verser des réparations. Pour elles, ces fonds étaient une promesse : celle que la République reconnaisse enfin leur souffrance et leur dignité.
Mais cette promesse a été trahie. Selon le CREFDL, sur les 105 millions de dollars américains destinés à l’indemnisation, à peine 2 millions auraient atteint les survivants. Plus de 100 millions de dollars se seraient évaporés dans des circuits opaques : comptes multiples ouverts à la Rawbank, retraits en espèces au bénéfice de responsables publics, financements douteux — jusqu’à 4,2 millions USD versés à un bureau de change, CLIC CHANGE SARL.
Les noms cités ne sont pas secondaires. Constant Mutamba, ancien ministre de la Justice, est poursuivi après la levée de son immunité parlementaire. Rose Mutombo, sa prédécesseure, est associée à des retraits en espèces. François Mwarabu, abbé et coordonnateur du FRIVAO, admet avoir reçu plus de 101 millions USD, tout en rejetant la responsabilité sur le ministère de la Justice. Ces accusations, d’une gravité extrême, dessinent le portrait d’un État transformant l’argent du sang en butin politique.
Et le président Félix Tshisekedi dans tout cela ? Sa responsabilité est entière, non dans les opérations bancaires, mais dans le silence et l’inaction. Chef de l’État, il est garant de la transparence, du contrôle des finances publiques et de la justice. Comment expliquer que des centaines de millions de dollars n’apparaissent pas dans les lois de finances votées par le Parlement ? Comment justifier qu’un fonds public comme le FRIVAO échappe à tout audit officiel ? Comment tolérer que deux ministres successifs de la Justice, piliers de son gouvernement, soient directement cités dans ce scandale ?
À force de fermer les yeux, le président endosse une responsabilité politique et morale. Il ne peut ignorer que ce détournement est une seconde guerre imposée aux victimes de Kisangani. Non plus par les balles, mais par la cupidité et l’impunité.
La République est à la croisée des chemins. Soit elle choisit d’ouvrir une enquête indépendante, de publier les comptes bancaires, de juger les responsables, fût-ce au sommet de l’État. Soit elle confirme que l’impunité est sa véritable loi, et que les victimes de Kisangani sont condamnées à mourir une seconde fois, dans l’indifférence.
Monsieur le Président, vous avez entre vos mains la possibilité de laver l’honneur du Congo. Ne pas agir, c’est devenir complice.
